Restons ensemble
« Je ne me suis pas permis de devenir complice de ceux qui, face à des événements collectifs indicibles, parlaient de sujets individuels. »
— Theodor W. Adorno, Minima Moralia
La solidarité au sein des milieux
de la gauche radicale est un enjeu crucial. Face à la pandémie, certains
d’entre nous ont adopté une position niant la gravité du virus. Parmi eux,
quelques-uns sont allés jusque dans les cortèges d’extrême-droite,
trouvant une forme de revendication commune avec ces alliés de circonstance,
refusant comme eux une « politique autoritaire » du
gouvernement.
Mais leur réel enjeu est la
négation de la pandémie et du danger que représente le virus, l’invocation des
libertés individuelles contre les mesures existantes ou disponibles. Le discours représente la pandémie comme un
prétexte pour l’imposition d’une dystopie moderne par les élites (une forme de
« 1984 » devenu réel, une « dictature sanitaire » imposée
par la force de Big Pharma, des transhumanistes, des politiciens corrompus,
voire d’un « nouvel ordre mondial » ou du « mondialisme »
en général).
Une méconnaissance profonde du
capitalisme et du rôle de l’État en son sein ont permis une telle construction,
accélérés par différents acteurs de la crise. Revenons aux fondamentaux, et
comprenons comment de telles divisions ont pu émerger au sein de notre
entourage.
L’État est la forme politique des
rapports sociaux de production capitaliste. Or, dans le contexte de cette pandémie,
il a été confronté à un paradoxe : la subsistance d’une force de travail
saine et productive était incompatible avec la nécessité d’une poursuite
ininterrompue de l’exploitation capitaliste. Ce conflit apparaît tout
particulièrement dans l’incohérence de certaines politiques poursuivies. La
contradiction inhérente à la concentration de la main d’œuvre indispensable à
la production et la nécessité d’isoler les personnes pour éviter les
contaminations a eu de nombreuses illustrations.
L’indifférence initiale
manifestée par les pays occidentaux face aux avertissements concernant ce
nouveau virus peut s’expliquer par le refus de la perspective d’un effondrement
du PIB mondial, du blocage des chaînes d’approvisionnement et de la suspension
du commerce. Les demi-mesures absurdes, comme le fonctionnement continu de la
plupart des lieux de travail avec des contrôles quasi inexistants et une
indifférence (pseudo-scientifiquement justifiée) au sujet du lieu de contagion
que sont les transports alors que les espaces publics extérieurs étaient
fortement contrôlés, prennent ainsi sens.
Le relâchement du second confinement par rapport au premier illustre le souhait
de ne pas nuire à une activité économique chancelante, la volonté de ne pas
toucher à la croissance.
Une interprétation rejetant à la
fois les semi-mesures du gouvernement et la pandémie elle-même est alors
apparue. L’utilisation de la pandémie par les gouvernements comme excuse pour
intensifier l’étreinte autoritaire de la société serait révélatrice du fait
qu’il n’y a pas de réelle pandémie.
Alternativement, si l’on accepte l’existence du virus, il ne serait dangereux
que pour un petit pourcentage déjà vulnérable de la population : la
pandémie est réduite à une syndémie.
Sur la base de telles approches, rien ne justifie l’imposition de mesures
horizontales en-dehors de l’autoritarisme. La transmissibilité élevée et la
forte mortalité (fin 2021, compte officiel à 4,3 millions de morts, estimations entre 11,6 et 21,5 millions, ou encore 5,4 millions de morts recensés au 28 Décembre 2021) causée par ce nouveau virus ont été transformés en un problème
simple et gérable, facilement résolu si les personnes âgées vulnérables (déjà
structurellement négligées) étaient « protégées », c’est-à-dire
retirées de notre champ de vision. Toute autre mesure était perçue comme ayant
pour seul but d’étendre le contrôle et la discipline de l’État.
Plusieurs éléments ont accéléré
la diffusion de ces récits. Les institutions et organisations avaient perdu de
leur légitimité. Les connaissances scientifiques sur le virus étaient encore en
construction. Mais c’est surtout les personnes détentrices d’une forme d’
« autorité scientifique » qui ont permis leur adoption par de nombreuses personnes.
Les protocoles de santé publique préconisés avant la pandémie privilégiaient des mesures drastiques dans les premiers jours d’une épidémie plutôt que de permettre au virus de se propager avec un taux de croissance exponentiel, rendant alors sa gestion impossible. Mais un
certain Ioannidis les remet en cause dès mars 2020. Il publiait un article mettant en garde
contre les mesures efficaces contre la pandémie :
il n’y avait selon lui pas assez de preuves pour justifier de mesures aussi
drastiques que les confinements, les masques ou la distanciation sociale. Il n'a cependant jamais considéré qu'il manquait de données pour soutenir sa propre thèse : rien ne permettait de recommander de ne prendre aucune mesure significative, en abandonnant tous les protocoles prévus de longue date en cas de pandémie, à cause de ce nouveau virus.
Ces désaccords avec les protocoles existants ne se situent pas sur le plan technique ou scientifique, ils répondent en réalité à la contradiction entre activité économique et rentabilité directe (affectées par le confinement) et sauvegarde des éléments permettant les relations capitalistes. Dans ce compromis, Ioannidis a pris un parti spécifique. Malgré la nécessité de confiner qui s’est finalement imposée, avec toutes les conséquences désastreuses pour l’économie capitaliste dans son ensemble (malgré les difficultés économiques mondiales, certains acteurs auront su tirer leur épingle du jeu, tels Amazon), des arguments fallacieux ont continué à être avancés : le sars-cov-2 ne serait pas pire qu’une simple grippe, il ne menacerait que les personnes âgées au système immunitaire affaibli, le taux de mortalité serait artificiellement gonflé… Les données statistiques ont été utilisées de façon sélective, mal interprétées voire même falsifiées pour minimiser les risques encourus. Tous ces arguments ont été répétés à l’infini par les personnes minimisant la pandémie du monde entier, mais ils se trouvaient déjà dans l’article de Ioannidis de 2020.
Mais d’autres acteurs sont
également intervenus. Premièrement, citons la déclaration du « Great
Barrington », initié par un think-tank ultralibéral, l’American Institutefor Economic Research,
climatosceptique et financé par Koch, un investisseur dans les énergiesfossiles. Dans
la droite ligne de Ioannidis, ce groupe a défendu l’idée d’une immunité
naturelle, fortement critiquée par le monde scientifique,
en laissant courir le virus sans porter atteinte à l’économie mondiale. C’est
son influence qui a sans doute infléchi la politique estivale sans aucune
restriction, amenant à une seconde vague meurtrière dans le monde.
Deuxièmement, le cafouillage initial sur les masques et les déboires du conseil scientifique ont provoqué un sentiment de défiance généralisé. Des profiteurs de la pandémie, vantant des traitements inefficaces tels des charlatans en manque de notoriété, soutenus par des avocats véreux cherchant à développer leurs revenus en hystérisant la population, ont alimenté les narratifs complotistes et délirants. Ce soutien par des personnes ayant un statut important s'est depuis transformé en un biais de confirmation particulier, générant la fausse impression que le risque représenté par le virus était artificiellement gonflé.
Il s’agit d’une illusion populaire bien répandue que de penser que ces positions auraient été « réduites au silence ». Elles ont déterminé le cadre d’action de Trump, Bolsonaro et Johnson. Mais la minimisation de l’impact du virus s’est vue confrontée à la réalité de l’augmentation rapide du nombre de cas et d’hospitalisations, ainsi que de décès, forçant même ces gouvernants à adopter une certaine forme de verrouillage et de distanciation sociale.
De la même façon, lorsque l'État érige des barrières à l'accumulation de capital privé, il ne le fait pas pour défendre le prolétariat contre l'exploitation sauvage. Il ne le fait que pour assurer la pérennité du rapport capitaliste qui se heurte souvent à la vision à court terme du capital privé (individuel) cherchant l'intérêt immédiat sans préserver la force de production sur le long terme. Il n'est pas un mécanisme neutre qui peut, dans de bonnes conditions ou avec un gouvernement différent, être mis au service des travailleurs. La tentative de maintenir l'économie ouverte malgré le virus a finalement montré ses limites, rendant impérative la protection de la main d’œuvre dans une perspective plus long-terme.
Ceux qui insistent pour traiter
le coronavirus comme une simple grippe omettent le fait que les dirigeants de
l’économie mondiale ont été contraints – tardivement et à contrecœur – de
bloquer l’activité économique pendant des mois. Ils ont dû accepter le
gonflement de la dette publique pour soutenir les personnes sans emploi ou en
congé, l’investissement massif dans la recherche vaccinale… Tous ces efforts se
sont produits dans un contexte de stagnation économique prolongée, avec des
taux de croissance faibles. Avaient-ils besoin d’accepter de si gros sacrifices
pour faire avancer l’autoritarisme, ne progressait-il pas déjà assez
vite sans cela ?
En réalité, cette confusion entre
le fonctionnement de l’économie capitaliste et de l’État s’est établie grâce à
l’individualisme. L’ensemble des théories pointant une dictature sanitaire,
qu’elles soient d’extrême droite / antisémites autour de la 5G et de Bill Gates
ou de gauche concernant Big Pharma, ont un point commun : le virus ne
serait qu’un prétexte et non une menace réelle. Mais l’émergence de la pandémie
n’est pas un choc exogène à une situation par ailleurs « normale » et
« stable ». Elle est la conséquence du rapport de la production
capitaliste au monde non-humain.
En France, la pandémie est apparue alors qu’une politique d’austérité sur la réforme des retraites était en train de s’imposer, « au nom de l’intérêt général ». Les mouvements sociaux qui ont tenté d'y mettre un terme se sont heurtés à une politique de classe unilatérale de cet « intérêt général ». Malgré des mobilisations fortes (loi travail, gilets jaunes…), le manque de prise en compte des revendications par les gouvernements a conduit à un repli sur des formes (préexistantes et filtrées socialement) d'association physique et de socialisation limitées (famille, petits cercles d'amis, café du coin) où une forme de contrôle social horizontal est plus facile à maintenir et où l'émergence agressive de l'individu ségrégé qui glorifie son identité est presque inévitable.
La notion de
« collectif » avait déjà été ébranlée. La résistance contre
l’appareil capitaliste ne se faisait plus en soutenant un parti, des
organisations politiques ou des syndicats. Les divisions internes aux
mouvements sociaux se sont renforcées par ces échecs. Les milieux anarchistes
ont compris cette évolution comme une confirmation de leur isolement social,
croyant qu’il n’y avait en réalité aucun enjeu collectif mais seulement des
individus rebelles se déplaçant dans de petites formes organisationnelles ou à
travers des réseaux informels d’amis. La vision collective a été abandonnée au
profit d’une défense dépouillée de l’autonomie individuelle et de
l’autodétermination, ou encore d’un activisme isolé et séparé de la sphère
politique.
En présentant ceux qui ont pris
la pandémie au sérieux comme des partisans (volontaires ou dupés) d’un
autoritarisme étatique rampant, les personnes minimisant les effets de la pandémie ont permis à
l’État de se présenter comme le responsable rationnel luttant pour l’intérêt
général contre l’individualisme irrationnel. Au lieu d’un mouvement luttant
contre la gestion capitaliste de la pandémie, celle qui cherche à minimiser les
perturbations sur la production économique tout en refusant un accès universel
et inconditionnel aux options de protection existantes (des vaccins au retrait
rémunéré du travail pour limiter les contaminations), des tendances exigeant le
droit de prétendre que le virus n’existe pas au nom de la « Liberté »
et de l’autodétermination ont émergé.
D’un point de vue anthropologique,
l’individu est perçu comme affaibli, incapable d’ériger une existence
collective au-delà de l’illusion que sont des individualités agrégées. La
liberté individuelle ainsi défendue écarte les obligations, les engagements,
les responsabilités et les conséquences d’une existence collective. Elle voit
les liens sociaux comme des obstacles au lieu de percevoir qu’ils sont un champ
d’émancipation.
La liberté individuelle a été un
refuge contre l’autoritarisme clérical et féodal, mais elle est devenue un
moyen d’enraciner les relations sociales capitalistes, une séparation sociale
médiée par le droit et le marché. Le négationnisme au sujet du virus ne permet
que l’élévation de l’individualisme bourgeois et la formation psychique de
l’individu narcissique moderne. Il s’agit de la perte de soi et non de
l’affirmation de soi, rendant donc apathique envers la vie collective et
amenant à l’abolition pratique de l’empathie. L’impuissance de l’individu isolé
en absence de lutte collective génère un sentiment de supériorité sur les
autres. Il ne pourra pas offrir un refuge ou un soutien s’ils ne se réfère qu’à son expérience personnelle immédiate.
La constitution du « moi »
et de la « liberté individuelle » comme moyen de résistance produit
un « moi » tourmenté par des sentiments d'humiliation et de perte de
contrôle, cherchant une « restauration de la justice » par tous les moyens, et
se retournant contre tout en dehors de son sens identitaire expansif. Ce
faisant, elle produit également une image déformée de l'État, du monde
capitaliste et de la perception des alliés ou des ennemis. L’émancipation
sociale à travers l’abolition de la société de classes et de la propriété
capitaliste est abandonnée. Une défense collective contre le coût humain
provoqué par la combinaison d’un virus infectieux et des contradictions
capitalistes devient impossible.
Ceux qui s’élèvent contre les
restrictions et les conséquences négatives du confinement tout en rejetant la
réalité de la pandémie détournent l’attention du fait que la liberté
individuelle au sein de la société capitaliste était déjà formelle et limitée. Le
choix d’aller travailler chaque matin n’est pas totalement libre et
conscient : les gens le font par obligation, pour survivre. Les luttes
collectives déterminent la portée dans laquelle cette coercition sera plus ou
moins directe et violente. Pour ceux qui nient les effets de la pandémie, cette dernière représente le
cauchemar d'une société déjà enchaînée qui se bat pour son droit au sommeil. Ils ne luttent pas contre le système capitaliste, ils tentent au contraire de protéger
une forme de « normalité » capitaliste mise à mal par la pandémie.
Avant l'émergence de la pandémie
de SARS-CoV-2, seule une poignée d'anti-vaccins engagés avec des opinions déjà
follement confusionnistes auraient considéré la vaccination obligatoire des
travailleurs de la santé comme l'expression d'un nouvel ordre autoritaire
émergent. Peu de monde n’aurait considéré la prise de mesures contre les
maladies infectieuses comme devant être déléguée au domaine du choix personnel.
La réappropriation
de soi ne peut être que collective car la propriété individuelle n’est pas une
protection contre la dépossession. Chacun sait que les faux « moi » qui
s'attachent à une entreprise, une famille, une tradition, une nationalité, une
nation ou une société en général, produisent des oppressions au nom d'un « nous
» collectif qui ne fait que perpétuer la domination existante. La réponse ne réside pas dans la création de nouveaux egos, elle est dans les
actions communes amenant à la création d’un vrai « soi ».
Dans le contexte de la pandémie,
il s’agit donc de ne pas remettre en cause la notion d’existence collective
voire le concept de « santé publique » lui-même. Le souci et le soin
de notre entourage sont non négociables : considérer les relations
sociales comme des obstacles à l’individu abolit la richesse de l’expérience
humaine.
Ce n'est pas un hasard si
l'extrême droite est hégémonique dans le mouvement niant la pandémie au niveau
mondial. Il s'agit d'un espace idéologique particulièrement sensible aux
complots avec un penchant sous-jacent pour une discipline autoritaire. Les
tendances fascistes ont historiquement embrassé une politique eugéniste,
dirigée contre ceux qui « contaminent » le tissu social ou en sont des membres
improductifs. Que ces mêmes forces politiques aient été massivement en faveur
de la réouverture complète de l'économie et du redémarrage du processus
productif à tout prix n'était pas un hasard. Leur adoption enthousiaste des
récits d'immunité collective dissimulait à peine leur darwinisme social.
La montée de telles tendances
post-fascistes est, bien sûr, un phénomène mondial. Dans le cas de la France,
une telle tendance a été stimulée par les manifestations nationalistes de masse
et la progression des candidatures présidentielles d’extrême-droite, anciennes
ou nouvelles. Dans un contexte de prédominance des individus séparés, des
abstractions telles qu'une appartenance religieuse renforcée ou les contours de
l'identité nationale émergent. Les communautés de nation et de religion
prennent de l’importance en tant qu'espaces refuges promettant la stabilité, un
sentiment de protection et un rétablissement du contrôle individuel/collectif,
à un moment où toutes les autres références symboliques ou matérielles
puissantes (l'affection patriarcale de l'État, ses politiques sociales, etc.)
semblent s'effondrer.
Des libertaires défendant
inconditionnellement la propriété privée et l’individu contre toute notion
d’intérêt collectif ou de bien commun se sont associés aux monstres Qanon, aux
homéopathes mystiques ou aux anti-rationalistes spirituellement sensibles dans
des luttes anti-confinements, anti-masques et anti-vaccins. Le mode de pensée
s’est développé en une logique où toute critique leur étant adressée les
conforte dans leur « vérité » : ils sont ciblés, vilipendés,
réduits au silence pour avoir tenu tête au courant dominant. Être incohérent
est devenu un moyen d’être un « martyr ».
Ils se plaignent d’être assimilés
à l’extrême droite en affirmant s’en distinguer, qu’on leur colle une
étiquette, accusant leurs détracteurs d’être des « partisans actifs de
l’État » ou des « gardiens du système », les désignant même
comme des « soumis », « collabos », « hygiénistes » … Ce
faisant, ils tentent de tourner au ridicule la peur générée par la pandémie,
tout en exagérant grandement leur propre anxiété envers la biotechnologie et la
surveillance. Paradoxalement, leur discours émerge de « recherches »
faites en ligne, et s’appuient fortement sur les réseaux sociaux.
En fait, ils n’espèrent qu’un
retour à la vie avant le coronavirus, cette « normalité » capitaliste
préexistante. Il est étonnant de voir que leur réponse à un État tentant de
tout réduire à des « responsabilités individuelles » réside dans la
liberté individuelle plutôt qu’une lutte collective plaçant nos intérêts
au-dessus de ceux de l’économie. Mais au lieu de cela, le capital est
subjectivé : il conspire et utilise la pandémie comme prétexte pour
imposer par la force quelque chose qui était déjà à l’ordre du jour sans
susciter une telle résistance. C’est un anticapitalisme
« fétichiste » comme l’a noté Moishe Postone.
Cette approche comprend l’État
comme un instrument des « élites » qui, contrôlé par un ensemble
différent, pourrait « servir le peuple ». C’est ainsi que la
« discipline » est perçue comme une fin en soi. Ainsi, l’idée que les
interventions de l’État pourraient aussi servir à maintenir la production
capitaliste est totalement ignorée. À la place, nous sommes invités à penser
que les autorités publiques et transnationales qui promeuvent des vaccinations
soi-disant expérimentales ou dangereuses sont pour une raison quelconque
disposées à sacrifier la santé et la vie de milliards de prolétaires et la
marchandise la plus précieuse pour l'accumulation capitaliste, la force de
travail, afin d'assurer les bénéfices de quelques sociétés pharmaceutiques et
de grandes entreprises technologiques.
La science n’est pas cet appareil
techno-dystopique qui surveille et collecte les données pour former des robots
amenés à déterminer ce que nous ferons, pourrons et voudrons. Certes, la
science « apparaît comme un attribut du capital sur le travail productif »,
comme « le pouvoir du capital sur le travail vivant » (Marx). Mais c'est aussi
une force productive sociale qui satisfait les besoins humains et, dans le cas
de la médecine et de la pharmacie, le besoin le plus élémentaire des gens
d'être en bonne santé. Un autre aspect intéressant est la tentative de contrer
les preuves scientifiques des dangers de la pandémie (et de l'efficacité des
vaccins) en utilisant d'autres scientifiques. Le discours scientifique officiel
(OMS, CDC…) est alors considéré comme profondément politique, mais les
positions politiques des scientifiques qu’ils mettent en avant sont
outrageusement ignorées.
Les anti-vaccins permettent à
l’État de se présenter comme un représentant responsable et rationnel face à un
individualisme irrationnel. Ainsi, l’acceptabilité de mesures autoritaires,
opaques et absurdes est renforcée. Ils seront désignés comme coupables en cas
d’échec des politiques menées. La vaccination obligatoire des personnels de
santé contre un certain nombre de maladies infectieuses faisait déjà partie de
la législation européenne pour protéger les travailleurs et les patients bien
avant la pandémie de coronavirus. Tous les pays imposent également la
vaccination obligatoire des enfants afin de les inscrire dans les jardins
d'enfants ou les écoles. La meilleure chance d'éviter le retour perpétuel de
cette pandémie réside dans l'augmentation du pourcentage de personnes possédant
suffisamment d'anticorps pour réduire les dangers du virus, et les vaccins sont
un outil essentiel.
L’opposition entre obligation
vaccinale et liberté individuelle est fausse. Les restrictions imposées aux
non-vaccinés sont l’expression de la « séparation » comme l’essence
même des individus dans une société capitaliste. L’État impose alors l’unité
par la coercition et l’exclusion : il apparaît comme la seule expression
de l’intérêt collectif. L’abolition de l’exclusion nécessite donc la création
d’une communauté qui fonctionne grâce à une véritable solidarité et par
conséquent la prise en charge de toutes les mesures nécessaires pour contenir
la pandémie.
Le caractère obligatoire de la
vaccination ou la résistance à l’autoritarisme de l’État ne sont pas les réels
enjeux des luttes sociales actuelles. Le « droit de choisir » dans le
contexte actuel entraîne des comportements réactionnaires ou individualistes,
éclairés par l’ignorance ou pire, par le darwinisme social. La vaccination est
un acte évident pour nous protéger : la façon dont l’État l’emploie
n’invalide en rien cette réalité. Les anti-vaccins ne sont donc pas des
opposants à la gestion de la crise sanitaire par l’État, puisqu’ils
l’intensifient de fait.
Contre la gestion étatique de la
pandémie, qui est dirigée contre les intérêts et les besoins prolétariens, nous
devons promouvoir la lutte collective pour la satisfaction de nos besoins qui
inclut, mais ne s'arrête pas à la vaccination universelle. En se fondant sur
l'illusion que des individualités spécifiques (généralement des corps jeunes et
sains) se considèrent comme hors de risque, l'opposition à l'État perd son
potentiel émancipateur. Résister à des mesures de précaution efficaces contre
un virus aéroporté au nom d'une conceptualisation de la liberté qui exclut de
manière préventive les catégories vulnérables (c'est-à-dire prolétariennes) ne
peut être le terrain d'une remise en cause radicale de la société existante.
Face à une menace collective, n’opposons pas une autonomie individuelle !
PS : ce texte s’inspire fortement de cette publication parue dans le Crued Quail Journal, qui m’a été transmise par mon ami Laurent Vassel dont je vous partage un « bon mot » : « le Smic, les congés payés, les comités d'hygiène et sécurité, etc... Je n'aime pas contraindre les patrons, je préfère les convaincre ».
Je remercie aussi MrEddyB2 pour sa relecture pointilleuse !
Pour aller plus loin, je recommande cette lecture du collectif Cabrioles.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerTrès belle cohérence dans cet élan salvateur d'un survol général, éclairant, inspirant de nos nombreuses problématiques sociétales actuelles. Pour l'avenir d'un "bien commun" fondamental des humains? (La vie, la nature, les espèces) oui, "Restons ensemble".
RépondreSupprimerOui, mais si le vaccin n'empêche pas la contamination, comme nous l'avons vu récemment et comme même l'affirme ses défenseurs, et qu'il doit être renouvelé quasiment tous les trois mois, alors quel est l'intérêt d'une vaccination obligatoire et massive?
RépondreSupprimeril réduit la contamination. Tout est dans le mot "empêcher". Aucun vaccin n'empêche à 100%. Il réduit. C'est pas suffisant pour tout arrêter mais ça réduit l'impact. Pourquoi s'en priver à moins que ce soit parce qu'on exagère des risques minimes compensés très largement par les réductions de risques en cas d'infection ?
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